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Catherine SOULA
Maître de conférences, écologue, paysagiste, urbaniste
ENSA Toulouse
Comme la plupart des grandes villes d’Europe, Toulouse est implantée au bord d’un grand fleuve, la Garonne, juste en aval de la confluence de l’Ariège où la vallée devient très large (plus de 26 km) et étagée en plaines et terrasses fertiles. Différents types de sols naturels s’y sont formés puis ont été transformés par l’action de l’homme : cultivés d’abord, puis supprimés, isolés, rapportés, pollués, masqués, ou confinés…
Mais avant de décrire les sols toulousains d’aujourd’hui, il faut remonter le temps. Il y a 40 millions d’années les Pyrénées se soulevaient. Pendant l’oligocène, entre -33 et -23 millions d’années, l’érosion favorisée par un climat chaud et très humide a permis le transport de grandes quantités de matériaux issus des montagnes. Accumulés en couches hétérogènes appelés mollasses, ils ont ainsi formé le sous-sol au nord des Pyrénées. Ces couches ont été ensuite façonnées en collines, vallées et vallons.
C’est dans ces mollasses que la Garonne creuse son lit à Toulouse. La vallée est ainsi dissymétrique. En rive gauche s’étagent une large plaine alluviale et trois terrasses successives séparées par des talus plus ou moins nets. En rive droite, la plaine alluviale est plus haute, étroitement bordée par les coteaux de Jolimont, et plus en amont la Garonne s’appuie directement sur les coteaux de Pech-David. Trois types de sols se sont alors constitués sur ces reliefs : les sols bruns, les boulbènes et les terreforts.
Sols bruns
Les sols de la plaine alluviale, d’un à deux mètres de profondeur, comportent un lit de cailloux recouvert par des dépôts fins, sables, limons et argiles, avec une bonne proportion de matière organique qui confère à la terre une couleur brun foncé. La proportion d’argile ne dépasse pas 20 % et ces sols sont filtrants. Légèrement calcaires, ils sont bien structurés et donc stables et favorables à une agriculture diversifiée. Ainsi, jusque dans les années 1960, Toulouse était entourée de vastes espaces de maraîchage, vergers, vignes, céréales…
Ces sols bruns sont encore visibles dans les jardins des pavillons, notamment à la Faourette, à Lardenne ou aux Minimes. Les cultures doivent y être arrosées en été car les sols s’essorent vite. Par contre, les arbres dont les racines s’enfoncent facilement en profondeur peuvent aller chercher de l’eau dans la nappe phréatique.
La première terrasse est séparée de la plaine par la « margelle », un talus continu de 10 à 20 m de hauteur sur un axe nord-sud. Les sols bruns y sont plus profonds, plus riches en argile, neutres ou un peu acides. Ils restent riches en matière organique et fertiles.
Boulbènes
Sur les terrasses plus hautes, les sols ont évolué avec une proportion plus élevée d’argile (plus de 30 %). Ils ont été lessivés et sont acides. Ces sols, appelés boulbènes, sont moins polyvalents, durs à travailler et s’engorgent facilement.
La terrasse la plus haute et la plus ancienne présente des sols très pauvres, constitués de limons très acides reposant sur une couche d’argile durcie, le grep. Ils sont humides tout l’hiver et, au contraire, très secs en été. Impropre à l’agriculture, cette ancienne terrasse a été en partie utilisée en pâturages extensifs, mais aujourd’hui sa vocation est exclusivement forestière (forêt de Bouconne).
Terreforts
Sur les collines de mollasses de Jolimont, de Pech-David et des coteaux qui encadrent l’Hers, les sols sont en général profonds, argileux et calciques. Ce sont les terreforts du sud-ouest, difficiles à travailler mais très favorables aux grandes cultures céréalières et protéagineuses.
Les anciens sols forestiers de Toulouse
Comme la très grande majorité des sols français, avant leur défrichement par les premiers habitants, les sols de la région de Toulouse étaient entièrement boisés.
Dans les forêts, sans labour ni amendement, les arbres trouvent une nourriture abondante et produisent plusieurs tonnes à l’hectare de tissus végétaux tous les ans (bois, feuilles, fleurs et fruits). La fertilité des sols y est favorisée par le microclimat des sous-bois : très peu de vent, pas de soleil direct, de l’air humide et une litière épaisse et continue qui protège et nourrit la terre en produisant une grande quantité d’humus. Enfin, les racines activent la vie bactérienne à tous les niveaux du sol. Elles absorbent en profondeur des oligoéléments qui sont ramenés en surface lors de la chute des feuilles. Les milieux forestiers constituent alors des écosystèmes résilients, moins froids en hiver, plus humides et moins chauds en été.
À l’exception de la forêt de Bouconne qui est très étendue, les bois sont devenus rares à Toulouse. Ils ont fait place à l’agriculture puis à la ville. Les ramiers, les grands parcs et les jardins toulousains constituent alors les derniers îlots de biodiversité, associés à des sols préservés et vivants.
Ce sont notamment les bois des versants et des vallons de Pech-David, les trois jardins de Jolimont (parc de l’Observatoire, jardins Félix Lavit et Villa Méricant) ou encore les espaces extra-muros conçus par l’urbaniste Mondran au milieu du XVIIIe : le Jardin royal, le jardin des Plantes, le parc du palais Niel, le square Boulingrin et les six allées plantées qui rayonnent autour du Grand Rond. Ce dernier constitue aujourd’hui un important îlot de biodiversité et de fraîcheur en plein centre-ville.
Enfin, au-delà du périphérique, une succession de parcs occupe la « margelle » (talus de la première terrasse), avec le parc d’Ancely, le jardin du Barry, le parc du Mirail, le parc et le jardin de la Reynerie et le bois de Bellefontaine.
Ces secteurs constituent de véritables poumons verts pour la ville, avec des sols profonds où les eaux pluviales ruissellent lentement et s’infiltrent vers la nappe. Ils sont pour la plupart protégés par un classement en espaces boisés classés (EBC) au titre de l’article L130 du Code de l’urbanisme qui permet de préserver leur vocation forestière. Le déclassement ne peut intervenir qu’avec l’accord de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites (CDNPS).
Isolés, rapportés, pollués, masqués, confinés ou perchés… les sols en survie dans la ville
Comme dans toutes les villes, partout dans Toulouse les sols ont été supprimés pour faire place aux voies et aux constructions. La ville médiévale ne comportait pas de végétation hormis quelques jardins privés dans les cours intérieures des hôtels particuliers et dans les communautés religieuses. Après le quartier du Grand Rond et du jardin des Plantes, de nombreux jardins ont été ajoutés aux espaces publics de Toulouse, souvent grâce à des dons ou à l’acquisition de jardins privés. La réalisation de grands ensembles, notamment au Mirail, a été aussi l’occasion de créer des espaces verts étendus. La proportion de sols préservés en parcs et jardins reste pourtant faible par rapport aux villes du nord de l’Europe. En dehors des jardins, les sols de pleine terre sont très fractionnés sur les espaces publics : petits carrés au pied des arbres, îlots résiduels de pelouses entre les voiries, terre-pleins centraux fleuris… Ces sols isolés sont fragiles, souvent surélevés et très secs en été. La végétation ne pourra s’y développer qu’avec des arrosages et amendements réguliers.
Par ailleurs, même dans les jardins privés ou dans les espaces verts des grands ensembles, les sols sont souvent « rapportés ». Il s’agit de remblais issus de terrassements, de gravières ou d’autres installations industrielles. Souvent hétérogènes, ils constituent des substrats pauvres pour la végétation, avec des discontinuités défavorables au développement des racines des arbres. Parfois pollués, ils nécessitent d’être substitués ou traités avec des précautions particulières, notamment pour les jardins vivriers.
Les sols des villes sont aussi souvent masqués par une couverture minérale. Dans les rues, les arbres d’alignement (notamment les platanes, les micocouliers, les sophoras…) ont un comportement remarquable : leur appareil racinaire très étendu trouve un chemin sous les chaussées et les trottoirs. Le béton bitumeux a heureusement une certaine porosité permettant les échanges gazeux et l’infiltration d’une partie des eaux pluviales, le pire étant le béton de ciment totalement imperméable et rigide. Dans tous les cas, il est nécessaire de d’offrir aux arbres un espace de pleine terre autour du tronc, si possible protégé par un mulch ou planté d’un couvre-sol.
Les sols « confinés » dans des jardinières ou sur les toits sont des sols dont la survie est dépendante d’interventions régulières, coûteuses en main-d’œuvre et en eau. Les sols y sont soumis à des variations de température plus importantes. Le développement de la microflore microbienne ainsi que de la faune, notamment des vers de terre, est plus faible. La résilience des milieux est évidemment très réduite.
Sur certains toits il est possible d’installer des sols assez profonds avec une couverture végétale continue et pérenne. Mais il n’est pas sûr que l’empreinte carbone liée à la construction du toit soit compensée par les performances d’isolation thermiques du sol ou les effets positifs de la photosynthèse…
Les potées et jardinières sur l’espace public sont des « objets de luxe » très coûteux en eau et amendements, particulièrement sujets aux maladies, et la plupart des villes les suppriment peu à peu pour préférer les grands massifs de pleine terre ou les plantations de pied de façade. Elles sont toutefois justifiées dans les immeubles pour garnir les balcons, afin d’offrir un peu de verdure, de fleurs et parfois de légumes aux habitants qui n’ont pas de jardin. À l’échelle d’une façade, elles peuvent constituer un ombrage et un filtre contre les poussières et pollutions diverses.
Enfin, les murs végétaux peuvent constituer de véritables œuvres d’art : celui de la clôture du musée des Arts premiers quai Branly à Paris, celui du muséum à Toulouse ou encore celui du passage sous la voie ferrée rue du faubourg Bonnefoy sont des références remarquables. Mais il s’agit à la fois d’une performance technique et d’un milieu extrême d’un point de vue de l’écologie des sols. Seules les parois sans soleil direct peuvent accueillir un mur végétal. Celui-ci doit être en permanence perfusé (eau, sels minéraux), même si certains substrats tourbeux permettent de garder l’humidité efficacement.
La voie pour installer durablement la nature dans la ville reste donc principalement la restauration ou la préservation des sols profonds, en lien avec le sous-sol et les nappes phréatiques. Ils doivent être protégés et nourris par des paillages, des mulchs et des couvre-sols, afin de tempérer les variations de température, les effets de dessèchement du vent ou de tassement de la pluie. Ils ne doivent pas être surélevés afin de recevoir les eaux pluviales des sols minéralisés alentour. Aussi, avec la transition agro-écologique, il est important retrouver des pratiques en synergie avec la nature où sol et végétation tempèrent les excès climatiques et favorisent l’épanouissement de la biodiversité.
© Catherine Soula